Le harcèlement a augmenté autant qu'on le pense ?

Selon l'opinion publique, le harcèlement scolaire a pris beaucoup d'ampleur depuis le début de ce siècle. Et la réflexion que j'entends le plus est que depuis la naissance des réseaux sociaux le phénomène à explosé. Est-ce vraiment le cas et de quelle manière ? Et surtout, est-ce que le monde numérique est le seul facteur à avoir eu une influence sur le nombre de cas de harcèlement dont nous entendons parler ? C'est ce que je vous propose de voir ensemble.

Est-ce que le nombre de cas de harcèlement à réellement augmenté autant que ce que l’on pense ?

Eh bien, c’est une question à laquelle il me semble difficile de répondre aujourd’hui. Malgré plusieurs recherches, je n’ai pas trouvé de statistiques belges sur l’évolution du nombre de cas de harcèlement par rapport à il y a dix, vingt ou trente ans. 
En France, les premières enquêtes de victimation datent de 2011. Les chiffres que j’ai pu voir sont encore trop récents pour dégager une tendance claire. Cela signifie que nous ne disposons pas de données suffisamment anciennes pour pouvoir dire avec certitude si le harcèlement a réellement augmenté au cours des dernières décennies ou s’il est simplement devenu plus visible. Car même s’il a probablement augmenté, le harcèlement est surtout devenu plus visible. 

Même si les chiffres récents ne permettent pas de dégager une tendance claire en termes d’augmentation ou de diminution du harcèlement, ils montrent tout de même que le harcèlement est un problème important qui touche de nombreux individus. Les enquêtes de victimation récentes ont montré que le harcèlement est un phénomène fréquent, affectant des jeunes de tout âge et de tout milieu social.

Le harcèlement serait lié à une évolution des mentalités ?

Il est vrai que le harcèlement semble avoir pris de l’ampleur ces dernières décennies, mais cela peut en grande partie être attribué à l’évolution des mentalités et de l’opinion publique en ce qui concerne ce sujet. Auparavant, le harcèlement était considéré comme un simple fait de la vie, quelque chose que les victimes devaient simplement endurer. Cependant, avec une meilleure compréhension des conséquences à long terme du harcèlement, il est devenu un sujet de plus en plus discuté et pris en compte. La libération de la parole à ce sujet a permis aux victimes de parler de leurs expériences et de demander de l’aide, ce qui a conduit à une plus grande prise de conscience de l’étendue du problème.

Mais le phénomène à également pris de l’ampleur par une évolution des attentes de notre société en termes de popularité. Les parents sont de plus en plus préoccupés par l’épanouissement de leurs enfants et leur désir de se faire des amis, ce qui les pousse à leur mettre plus de pression (consciemment et inconsciemment) pour qu’ils cherchent un statut relationnel élevé. Les enfants sont incités à jouer des coudes pour obtenir une place d’influence au sein de leur groupe, à devenir populaires. Cela peut entraîner des comportements agressifs et des comportements de harcèlement envers les autres.

harcèlement sclolaire

La popularité est un concept important dans les cours de récré, car elle explique de nombreux comportements qui peuvent sembler irrationnels aux adultes. Les enfants populaires attirent autour d’eux d’autres d’enfants qui se sentent valorisés par leur proximité. Cependant, cela peut également causer des angoisses à l’idée de ne plus faire partie de ce cercle. La popularité est similaire au système des likes sur les réseaux sociaux, car elle ne tient pas vraiment compte de la qualité du lien entre la personne populaire et ses suiveurs. 

L’attention croissante sur le phénomène du harcèlement peut cristalliser les angoisses des parents, qui se sentent responsables de protéger leurs enfants contre cette forme de violence. Cette préoccupation excessive peut causer des tensions dans les relations parents-enfants, car les parents peuvent se montrer trop protecteurs ou trop inquiets, ce qui peut rendre l’enfant anxieux ou mal à l’aise.

En outre, l’attention des parents sur la prévention du harcèlement peut semer le doute auprès de l’enfant. L’enfant peut se sentir stressé ou anxieux à l’idée de se faire des amis, de peur d’être harcelé ou rejeté. Cela peut entraîner une réduction de la confiance en soi et de l’estime de soi, ainsi qu’une diminution de la capacité de l’enfant à établir des relations sociales saines et positives. Il est important de rappeler à l’enfant qu’il est normal de ne pas être populaire et d’avoir des difficultés à se faire des amis, et de lui donner les moyens de s’épanouir dans d’autres domaines tels que les activités extra-scolaires, les loisirs et ses passions.

L’évolution des mentalités entraîne aussi que notre société à une hiérarchie sociale moins rigide qu’auparavant. Cet assouplissement des rapports sociaux est bénéfique dans la plupart des cas. Toutefois, les scientifiques remarquent que les groupes animaux et humains expérimentent plus de violences lorsque la hiérarchie est absente ou lorsqu’elle est moins claire. 

Cela pourrait être une des raisons qui fait que nous avons le sentiment que les phénomènes du harcèlement s’amplifient. Puisque les enfants ne sont plus encadrés de manière aussi stricte ; que le pouvoir de “répression/punition” des enseignants a été revu à la baisse par les attentes de la société ; les enfants sont plus enclins à chercher une forme d’ascension sociale. 

Nous voyons qu’un enseignant en primaire, s’il a clairement pris une place de chef de meute, a plus de facilités à maintenir un climat serein qu’en secondaire où la multiplicité des enseignants ne permet pas ce positionnement hiérarchique clair.

La perte de pouvoir autoritaire chez les enseignants ces dernières générations permet une transmission du savoir plus chaleureuse et humaine. Mais cela à un effet collatéral. Les enfants qui ne sont plus encadrés de manière aussi stricte cherchent plus facilement à jouer des coudes pour s’affirmer. 

Cela peut aussi expliquer les différences en termes de violence dans les écoles en fonction de leur taille : on remarque proportionnellement plus de problèmes d’agressivité dans les grosses structures ou la discipline est plus difficile à faire respecter.

Les enfants ont ils plus de difficultés relationnelles qu’il y a quelques décennies ?

Il est important de prendre en compte les difficultés relationnelles de nos enfants, mais il est également important de ne pas les surestimer. Lorsque l’on donne trop d’importance aux difficultés relationnelles de notre enfant, celui-ci peut rapidement se sentir dépassé et incapable de les surmonter. Cela peut entraîner une diminution de la confiance en soi et de l’estime de soi, ainsi qu’une réduction de la capacité de l’enfant à établir des relations sociales saines et positives.

De plus, trop intervenir dans les relations de nos enfants peut empêcher ces derniers d’apprendre à gérer ces relations eux-mêmes. Les enfants ont besoin d’apprendre à gérer les conflits, les rejets et les relations amicales de manière autonome. En les protégeant trop, nous les empêchons de développer leur propre capacité à résoudre les problèmes et à négocier les relations sociales. Cela peut les rendre plus dépendants et moins capables de gérer les situations difficiles à l’âge adulte.

N’oublions pas que les relations sociales sont un processus d’apprentissage constant, et que les difficultés relationnelles ne sont pas réservées aux enfants. Nous rencontrons encore des difficultés relationnelles. Si nous montrons à nos enfants que nous avons ces difficultés et que c’est normal et qu’il existe des moyens de surmonter ces difficultés, nous les aidons à grandir en confiance.

Le rôle des réseaux sociaux.

Est-ce que, comme l’opinion publique tend à le croire, les réseaux sociaux sont responsables d’une augmentation du nombre de harcèlement ?

Commençons par rappeler que le web et les réseaux sociaux sont des outils, et que comme tout outil, ils sont ce que nous en faisons.

Selon les études, la toute grosse majorité du harcèlement en ligne se produit entre des personnes qui se connaissent en vrai. Cela peut être le résultat d’un conflit ou d’une tension existante à l’école ou dans un autre contexte social. Les enfants peuvent se sentir plus en sécurité derrière un écran et utiliser Internet pour exprimer leur colère ou leur frustration de manière agressive. Et quand la cible se fait intimider par des personnes qu’il ne connaît pas, c’est sur l’initiative d’un harceleur qu’elle connaît dans la vraie vie.

À ma connaissance, les cas de cyberharcèlement entre jeunes qui ne se connaissent pas sont souvent liés à une activité en ligne qui apporte une certaine notoriété à la cible. Les jeunes qui ont un blog, une chaîne YouTube ou toute autre activité en ligne qui leur permet de s’ouvrir à un certain public sont plus susceptibles que d’autres d’être attaqués ou harcelés par de personnes qu’ils ne connaissent pas.

En effet, les personnes qui ont une présence en ligne importante attirent non seulement l’attention des utilisateurs qui cherchent à se défouler sur le web, mais aussi celle des personnes qui éprouvent de la jalousie ou de la rancœur à leur égard. Les personnes qui ont un grand nombre d’abonnés ou de followers peuvent susciter l’envie chez d’autres personnes qui ne peuvent pas atteindre cette même notoriété ou qui sont frustrées par leur propre vie en ligne. Les personnes jalouses peuvent alors utiliser le harcèlement en ligne pour tenter de diminuer la popularité et le succès de la victime.

Dans un plus petit nombre de cas, le harcèlement se produit entre jeunes qui ont commencé par tisser des liens d’amitié sur la toile et qui ne se connaissent que virtuellement.

Tout cela m’amène à penser que les nouvelles technologies ne sont pas la première cause d’une augmentation du nombre de cas de harcèlement. Par contre, là où ces technologies sont un facteur important, et même majeur, c’est dans la gravité en termes de durée, de publicité et de poids psychologique à court et à long terme.

Comment les nouvelles technologies aggravent le phénomène ?

Lorsque les enfants sont harcelés en ligne, ils peuvent se sentir poursuivis à tout moment, même lorsqu’ils sont chez eux ou dans un lieu qui devrait être sûr. Lorsqu’on est harcelé en ligne, il est difficile de s’échapper de la situation, car les réseaux sociaux sont accessibles en permanence, que ce soit à la maison, à l’école ou même en déplacement. Cela signifie que la victime du harcèlement n’a plus de refuge où être à l’abri de ses bourreaux, à la manière d’un enfant scolarisé dans un internat qui peut se sentir persécuté jour et nuit.

Même lorsqu’ils sont loin des écrans, les cibles ressentent la pression du harcèlement, car elles savent qu’un nouveau message ou une nouvelle photo peut apparaître à tout moment et que ces publications sont très difficiles à faire effacer. Et quand on sait qu’un nouveau message peut apparaître à tout moment, on en vient à ressentir la nécessité absolue de consulter très régulièrement les réseaux pour vérifier que rien de nouveau est apparu. Il est donc plus difficile pour les victimes de se mettre à l’abri et de se protéger de la situation, ce qui peut aggraver leur stress et leur anxiété. Cette absence de répit peut avoir des conséquences graves sur leur santé mentale, car cela les expose constamment à des situations stressantes et difficiles. 

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Ensuite, l’augmentation de la portée en termes de public est un autre facteur qui contribue à l’aggravation de l’impact psychologique. Lorsque les enfants sont harcelés en ligne, ils peuvent se sentir exposés à un public beaucoup plus large que s’ils étaient harcelés physiquement. Le ou les harceleurs peuvent également faire intervenir des jeunes qui n’ont pas de rapport direct avec la cible, les harceleurs téléguident alors des attaques de personnes qui, pour la cible, sont des étrangers.

Enfin, le virtuel augmente le sentiment d’impunité, ce qui accentue les Winner effect et Looser effect. Les harceleurs en ligne peuvent se sentir protégés derrière l’anonymat de l’Internet et peuvent agir de manière plus agressive et abusive. Et parallèlement, le virtuel augmente le sentiment d’impuissance de la cible. 

Les impacts psychologiques sont réels et peuvent causer des conséquences graves pour la cible, que ce soit à court ou à long terme. 

Et pour boucler la boucle, les réseaux sociaux ont un impact négatif bien plus insidieux : ils nous rendant dépendants de la validation virtuelle. Les “likes” et les commentaires positifs sur nos publications peuvent nous donner l’impression d’être aimés et appréciés, mais cela peut également créer une dépendance à ces signes de popularité virtuels, ce qui peut nous rendre anxieux ou déprimés lorsque nous ne recevons pas assez de ces signes.

En outre, les réseaux sociaux peuvent nous pousser à nous comparer aux autres, ce qui peut nuire à notre estime de soi. Nous pouvons voir les publications de personnes qui ont l’air plus heureuses, plus riches ou plus belles que nous, et cela peut nous faire nous sentir inférieurs. 

Cette comparaison constante et cette dépendance à la validation peuvent également nous pousser à chercher des signes de popularité dans la vie réelle, comme avoir plus d’amis ou être invité à des événements sociaux prestigieux. Cela peut causer de la pression et de l’anxiété inutile, quand la réalité des contacts sociaux ne répond pas à nos espérances.

Pour conclure.

En conclusion, il est difficile de dire avec certitude si le harcèlement scolaire a réellement augmenté au cours des dernières décennies ou s’il est simplement devenu plus visible. Cependant, le harcèlement est un problème important qui touche et touchait déjà auparavant de nombreux individus. L’évolution des mentalités et de l’opinion publique en ce qui concerne le harcèlement a conduit à une plus grande prise de conscience de l’étendue du problème. Les réseaux sociaux ont également un impact sur l’augmentation des cas de harcèlement, mais ils ne sont pas la seule cause. Là où les réseaux sociaux ont un impact négatif, c’est comme outil pour ne pas laisser de répit aux cibles du harcèlement.

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