Les réseaux sociaux, ou l'éternel diktat du bonheur

Pourquoi notre société moderne nous incite à la folie comparative (et pourquoi cela plombe notre estime de nous).

On est dans une société qui met des pressions terribles sur l’apparence, la performance, sur la possession de biens matériels. Elle nous met la pression au travers du cinéma, au travers des publicités, au travers des réseaux sociaux et au travers de tous ce qui nous imprègne... Et ça, ça fragilise nos estimes de nous-mêmes. Ça nous fait croire que l'on est quelqu’un de bien si on a tel statut ou tel outil de statut social. Ça nous fait croire que l’on est quelqu’un de bien si on a les dents bien blanches et droites, si on a telle corpulence, si on a tel type de vêtements... SI ... SI... SI...
Cela nous fait croire que l’on est quelqu’un de bien si on est performant : si on a un métier, si on est brillant, si on attire les autres vers nous... Tout cela n'est que des mensonges... Je te propose donc un état des lieux des choses qui nous poussent à la folie comparative...

L'apparence physique

Parlons d’abord de l’apparence physique : autrefois, il y avait moins de miroirs et moins d’images qu’aujourd’hui... Le miroir n’arrive dans les maisons, chez monsieur tout le monde qu’au 19e siècle. Avant l’image que l’on avait de soi était le reflet à la surface de l’eau (à condition qu’elle soit calme) et sur certains objets métalliques si on avait les moyens de se les acheter. Ensuite est arrivé la photographie : si elle a été inventée officiellement en 1839, il faut attendre la toute fin du 19e siècle pour que le fait de se faire photographier par un photographe soit accessible pour le travailleur moyen. Au début du 20e siècle, bien des gens ne se voyaient en photo pour la première fois qu’à l’occasion d’un mariage ou, lorsque l’école l’organisait, d’une photo de classe. Ce n’est que dans les années 1960 que la majorité des ménages européens achètent en masse leur premier appareil photo.

Déjà, rien que pour cela, si tu avais vécu avant ces dates, tu aurais eu moins la pression sur ta propre image. Mais en allant plus loin, avec qui te serais tu comparé ? Avec les gens proches de toi : la famille, les cousins, les voisins, les gens du quartier ou du village... La plupart du temps, tu étais au minimum dans la moyenne...

Aujourd’hui, je peux voir ma tête partout, à cause des miroirs, des photos, des vidéos... mais surtout je vais me comparer avec qui ? Dans les années 1920, tu te serais comparé avec les stars de cinéma. La presse était encore en majoritairement en noir et blanc : quelques illustrations étaient bien en couleur mais toutes les photos étaient bien en noir et blanc. C’est ce même cinéma qui a popularisé le maquillage « moderne » (Si le maquillage était utilisé par toutes les couches sociales depuis le 17e siècle, c’était alors pour pâlir le teint...).
Dès les années soixante, nous nous sommes comparés avec les mannequins dans les magazines ("Paris-Match" ne date que de 1949 et la presse jeunesse - "Salut les copains", "Extra", "Podium" - du début des années soixante), avec les gens de la télé, qui sont alors maquillés, coiffés et préparés pour leur passage en public. Par la suite les photos des magazines vont être retouchées, modifiées, améliorées grâce à l’arrivée de Photoshop et consorts.

Puis sont arrivés internet, la généralisation des photos numériques, des réseaux sociaux et des filtres à la manière de Snapchat et consorts.
La situation actuelle est à l’opposé de ce que nos aïeux ont connu, là où ils ne pouvaient se comparer qu’avec des gens connus par fréquentation directe, sans le moindre filtre, nous nous comparons visuellement avec des gens que nous n’avons et ne côtoieront probablement jamais... Nous n’aurons dans certains cas l’occasion de confirmer dans la vraie vie la véracité de leur apparence physique. Qu’est-ce qui te fait le plus rêver ? Le compte Instagram d’un(e) parfait(e) inconnu(e) ou celui de ta cousine, de ton frère ou de ton ami(e) dont tu sais très bien que sur la photo, il où elle a fait en sorte de cacher tel bourrelet ou tel défaut ?

Ensuite arrive le second effet Kiss cool : plus tu utilises de filtres et de poses adaptées pour tes selfies , plus tu as du mal avec l’image que tu vois dans le miroir. Plus tu cherches à avoir une vie sur le web moins tu acceptes ta vie et tes difficultés quotidiennes.

Laao - Episode 02 - Pourquoi notre société moderne nous incite à la folie comparative.

Parlons un peu des possessions matérielles.

Si la publicité et l’affiche existent selon les versions depuis 3000 à 6000 ans celles-ci ont très longtemps servi à vanter les mérites de tel personnage politique, annoncer les combats de gladiateurs et autres jeux et représentations ainsi qu’à offrir une récompense pour la capture d’un fugitif. C’est au Moyen Âge qu’apparaissent les premières annonces commerciales par l’intermédiaire des crieurs publics. Ensuite, la réclame apparaît grâce à l’invention de l’imprimerie au 15e siècle. La publicité, et donc les techniques commerciales visant à promouvoir la consommation de masse et à nous faire désirer les possessions matérielles n’apparaissent que dans les années 1930 et prend un vrai élan en 1936 avec la revalorisation des salaires, la semaine de 40 heures et les premiers congés payés.

Depuis les publicitaires se sont professionnalisés, ont pris en compte le regard des sciences humaines (psychologie, sociologie.....) et du marketing pour nous donner de plus en plus le sentiment que la réussite de notre vie passe par la possession matérielle. Actuellement l’incitation à la possession matérielle est partout, de manière évidente avec les publicités, mais également plus ou moins cachée, avec les placements de produits dans les films et séries, mais également auprès de personnalités publiques. Je parle là des vedettes, des sportifs, des blogueurs et de tous les influenceurs que nous suivons quotidiennement. Ils ont tous pour consigne de te faire passer le message que si tu veux avoir une vie comme la leur, tu l’obtiendras plus facilement si tu as tel parfum/smartphone/crème de jour...

À nouveau, la digitalisation de l’information et donc le web a grandement accéléré les choses et nous passons de plus en plus de temps face à des incitations à la possession matérielle.

Parlons maintenant de tout le reste... de tout ce qui touche à notre réussite sociale. De tout temps, lorsque l’on croisait un étranger ou ne fut-ce que quelqu’un qui nous connaissait un peu moins, nous avons eu la possibilité de faire quelques écarts par rapport à la vérité. Mais tant que la majorité d’entre nous ne croisait principalement que des gens d’un entourage relativement proche et qui donc avaient la possibilité de croiser les informations, ces embellissements étaient relativement modérés.

Que ce soit avec des gens que je côtoie et qui ne croiseront probablement jamais mes voisins ou mon oncle un peu bizarre, ce que je leur laisse connaître de moi est de plus en plus filtré... dans la vraie vie comme sur le web. Je partage les choses qui me valorisent et dont je suis fier, et j’occulte les périodes d’ennui, de solitude, d’angoisse, de dépression...

Plus nous avons eu l’occasion de voyager, de nous déplacer pour le travail, de travailler à des kilomètres de chez soi, de faire des métiers qui n’existaient pas il y a quelques dizaines d’années, d’avoir des contacts à distance et dématérialisés, plus certains métiers tels qu'instituteurs, pharmaciens, policiers... ont perdu en prestige et en respect et plus nous nous sommes permis de filtrer la vérité. Que ce soit sur les réseaux sociaux, où je peux me permettre de poster une photo de coucher de soleil sans que personne ne sache qu’elle a été prise sur le bord de l’autoroute ou à la sortie d’un bidonville. Ou alors je poste sur la magnifique séance d’entraînement que je viens de passer, en occultant au passage que j’ai failli perdre un poumon dans la première montée ou que je me suis remis au sport parce que j’avais pris 5 kg les derniers mois.

Je le fais, tu le fais d’une manière ou d’une autre, nous le faisons tous à notre échelle.

D'une certaine manière, nous nous cachons tous derrière nos profils "sociaux"

Quand nous parlons de nos réussites, nous ne mentionnons que rarement les mois de galère pour arriver à ce résultat. Le cinéma et la télévision font également l’impasse sur la majorité des galères du quotidien de nos personnalités et personnages préférés (qui voudrait voir réellement tout le temps que Conrad Hawkins (The Résident) a passé dans ses livres et cours avant de toucher à son premier bistouri ? Le nombre de fois où Simone Biles est tombée de la poutre avant de décrocher sa première médaille ? Ce serait long et soporifique j’en conviens... Et même dans Rocky, les dix ans de galère avant de décrocher un combat médiatique sont traités en quelques minutes, les longues semaines de préparation avant le combat durent quelques dizaines de minutes... Et au final, cela nous paraît si facile...

C’est pour cela que dans l’inconscient collectif, nous avons une tendance générale et systématique à minimiser les efforts que les autres ont dû faire pour obtenir leurs résultats. Ensuite, quand nous nous comparons à eux... À nous sentir incapables à leur arriver à la cheville malgré les dizaines d'heures passées à la pratique de cette discipline, nous occultons sans le vouloir les centaines ou milliers d’heures qu’ils ont passées à pratiquer, à galérer, à faire des sacrifices et des compromis. N’oublie pas que nous n’avons probablement aucune idée des difficultés matérielles, sociales, psychologiques ou autres qu’il/elle peut vivre à côté.

Il a quelques dizaines d’années, quand le gars du bout de la rue réussissait professionnellement ou socialement, nous avions la plupart du temps une petite idée du temps et des efforts qui lui avaient valu de tels résultats. Cela n’empêchait pas que certains résultats étaient obtenus par piston, chance, audace ou filouterie... Mais dans l’ensemble la comparaison nous était moins défavorable et était globalement plus objective.

Quel est ton niveau d'estime ?

Tu désires connaitre ton niveau d'estime personnelle ?
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Tout ceci pour te dire :

L’évolution technologique de notre société est pour bien des aspects formidables. La qualité et la quantité des informations auxquelles nous avons accès augmentent de jour en jour... Je ne vais pas te citer toutes les raisons pour lesquelles je suis heureux de vivre ici et maintenant. Mais la vitesse à laquelle les choses progressent fait que notre estime de nous à du mal a suivre....
Pour t’aider à mieux appréhender la vie actuelle, applique ces quelques conseils :

  • Ne te compare pas à quelqu’un d’autre que celle/celui que TU étais hier.
  • Et si malgré tout tu ne peux t’empêcher de te comparer avec un tiers, veille à avoir a minima une vision objective du parcours qui lui a permis d’arriver à ce résultat.
  • Ensuite, pose-toi la question de ce qu’est la réussite à tes yeux . Pourquoi ? Est-ce posséder tel vêtement, téléphone ou voiture ? Pourquoi ? Exercer tel métier ou avoir tel statut social? Pourquoi ? Est-ce la qualité des relations sociales et affectives que tu entretiens? Pourquoi ? Est-ce avoir une activité (professionnelle ou non) qui te permet d’avancer, de grandir ? Pourquoi ?

P.S. : Il y a beaucoup de « pourquoi » Ne les prends pas comme un jugement de valeur. Il n’y a aucun mal à vouloir tel objet, à vouloir tel métier ou statut social. La seule chose qui compte est que tu saches pourquoi tu veux cette chose, que ce pourquoi soit un bénéfice direct (posséder un cabriolet pour avoir du succès auprès des filles n’est pas un bénéfice direct, posséder un cabriolet pour le plaisir de rouler cheveux au vent est un bénéfice direct) et surtout que cela corresponde à tes valeurs. 

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